mardi 1 janvier 2008

L'Intouchable

Ce soir j’ai croisé la route d’un SDF… il était là assis sur son banc-sac plastic, il m’a dit bonjour en guise de « une petite pièce svp » et comme toujours je l’ai regardé, lui comme les autres, sans détourner mon regard… le sien était fier, clair, presque souriant d’une compréhension qui m’échappe encore… à côté c’est moi qui avais des allures de petite fille aux allumettes… on aurait fait un sondage c’est à moi qu’on aurait donné sans même que je demande… je lui ai offert mon sourire le plus sincère en lui tendant de la menue monnaie… jusqu’à ce jour j’étais fière de pouvoir faire « ça », je me trouvais courageuse, honnête, osant défier la misère sans jamais l’esquiver, bonne citoyenne en somme… mais ce soir mon héroïque civisme a sonné faux à mes oreilles et à ma conscience surement plus exacerbée que d’habitude… quelque chose clochait… j’ai réfléchi de longues minutes en marchant… puis j’ai compris… mes piécettes… c’était ça mon problème… non pas que je me reproche de ne pas lui donner plus, je ne suis pas débile au point de ne pas capter le b-a- ba de la solidarité… non, je n’ai pas de soucis avec la somme donnée, mais plutôt avec ce que je n’ai pas osé envisager… pourquoi je ne lui ai pas proposé de venir prendre un bon bain chaud ? Pourquoi je ne lui ai pas offert le couvert ? Pourquoi je ne lui ai pas ouvert les portes de mon chez moi, puisque moi j’en ai un… et les réponses à ces questions m’ont écœurées plus encore que les questions elles-mêmes… la peur !! Oui, la peur de l’autre… mais pas n’importe quel autre… peur qu’il se tire avec les bibelots de ma petite vie savamment bordélisée rangée par rangée sur la bibliothèque… peur qu’il me vole du shampoing ? Qu’il me chipe mon sapin de noël ? Pour aller l’allumer sous un pont assurément, c’est bien connu… Oui, j’en suis là… j’ai préféré lui donner des pièces pour acheter son silence… troquer mon imposture contre des pièces jaunes… je n’ai pas réussi à voir l’humain, je n’ai vu que le parasite… et je m’en veux, bien sur… Oh, je pourrai aller plus loin dans mon hypocrisie et me dire que ce n’est pas ma faute, c’est la société qui a finalement réussi à me formater (quand j’étais petite je ramenais toujours les SDF - humain ou animal - à la maison, jusqu’au jour où mes parents ont dit que ce n’était ni Emmaüs ni la SPA la maison…) qu’après d’âpres batailles j’ai fini par boire la coupe de l’establishment, résultat cirrhose du courage et qu’à présent je suis un bon petit soldat qui marche au pas… et le pire… c’est que malgré ces réflexions, je n’ai pas pris pour autant la décision de changer de comportement… je me suis même dit que si j’avais été riche, je lui aurait surement offert une chambre d’hôtel pour qu’il puisse voler le peignoir et les savons… du moment que ce n’est pas « mes affaires », moi la pas matérialiste patentée… comble de la charité… et pour me dédouaner, je me suis contentée de me dire que le fait d’en pendre conscience était déjà une bonne chose… cercle vicieux quand tu nous tiens… j’ai fait demi-tour et je suis allée m’assoir à coté de lui… sans rien dire… plongée dans mes pensées, sans rien dire… lui sans maison moi sans bravoure, âme charitable à la dérive… j’ai eu peur d’un être humain parce qu’il ne sentait pas le savon dans cette ville où les étés puent la Nivea dès l’aéroport… il se serait présenté tout de blanc vêtu je l’aurais vouvoyé et me serais surement inclinée sur son passage… sombre conne… je me dis souvent quand je croise un SDF que c’est peut-être dieu déguisé et ça me rassure… parce que dieu SDF c’est quasi normal, mais l’inverse ça devient problématique… alors, je suis restée un moment à coté de dieu… puis je lui ai demandé :

- pensez-vous que tous ces gens qui se préparent à faire la fête ce soir soient plus heureux que vous ?

- matériellement… oui certainement…

Il l’a fait exprès, pas possible autrement !! Et je réponds quoi moi à ça ?! Je ne peux pas lui débiter mon discours sur le matériel qui ne compte pas, plus maintenant, je peux plus !! Et je ne peux pas non plus lui dire que j’ai oublié mes tripes au vestiaire, qu’il faudra donc qu’il se contente de ce que je ne donne pas… je fixe longuement un point dans le vague…

Il m’a donné une leçon d’humilité et il l’aurait fait sans même me répondre… juste en me renvoyant ce que je suis… et que je n’accepte pas… reste à savoir comment je vais changer ça… pas gagné… pas gagné du tout…

A toi l’Intouchable …

(je tutoie dieu alors pas de favoritisme hein)

7 commentaires:

Claudio a dit…

Bien décrits les couloirs et contre-couloirs de la pensée.
Pas grand-chose à ajouter.
Lu et approuvé.

Sijavéssu a dit…

merci Claudio, contente que ça vous plaise... :)

Anonyme a dit…

On doit tous un peu se reconnaître là dedans... Pourtant, je me souviens, quand j'étais enfant, que ma mère s'tait fait une spécialité de ramener des clodos (on ne disait pas des SDF à l'époque) à la maison et c'est assez souvent qu'il y en avait un autour de la table familiale.
Depuis que je suis "grande" ça ne m'est pas arrivé souvent...

Anonyme a dit…

bonsoir, nous avons eu ce courage un soir de noël;un désastre le lendemain lorsqu'il est reparti quand j'y pense j'en est encore la nausée ; donner et reprendre si vite... triste expérience

Sijavéssu a dit…

je ne suis pas étonnée que tu connaisses ce genre d'expérience...
n'en garde surtout pas de regrets, tu as fait un pas vers l'autre (comme toujours) c'est ce qui importe le plus... c'est une très grande richesse mais surtout une immense liberté bien précieuse...
l'humain est une "chose" à la fois si fascinante, si fragile et si terrible... le seul "élement" capable de faire cohabiter en lui le meilleur et le pire...
et nous devenons meilleurs quand nous devenons capables de ne pas nous arrêter aux pires...
Nous donnons comme nous avons appris à recevoir et inversement... l'échange... cette activité bien compliquée...
mais tu sais déjà tout cela bien sur...

Anonyme a dit…

Encore une fois, c'est vrai ! Nous avons peur de l'autre, de ses différences d'apparence, d'odeur, de couleur, de vie...
Notre sens de la "normalité" est faussé puisque nous nous estimons, chacun, en LA référence.
Ce texte est superbe tant sur la réflexion que le malaise qu'il amène.

Sijavéssu a dit…

Tiens, une tite plum qui est venue se poser sur une des branches de mes élucubrations... en tous cas, toujours avec un com très pertinent et plein d'à propos... merci @ vous...