jeudi 12 avril 2007

KRÖSAVE MACHINE (2000)


Les machines à écrire de haut de gamme ou l'ordinateur me tentaient bien… la mémoire, le traitement de texte, les gadgets… mais le coût prohibitif de ces objets fit pencher le choix de mon porte-monnaie pour une modeste machine à écrire, néanmoins électrique, en provenance d'un lointain et sombre pays de l'Est. Je fis une rapide prière aux dieux de la Steppe pour ne pas avoir besoin de pièces de rechange et signai mon chèque. Je me voyais déjà écrivain adulé, riche et enfin reconnu, accumulant des tonnes de papier recouvert de textes sublimes, des éditeurs impatients se déchirant mes faveurs dans le parc de mon château… Je déchantai très rapidement : Le branchement de la prise de courant, non standard aux normes françaises, dut me faire cavaler jusque chez le premier électricien venu.

Je passe sous silence le changement de prise, ce qui n'est pas mon fort, la mise en route laborieuse, les tâtonnements, les erreurs, le mode d'emploi écrit en krösave, russe, bulgare, et serbo-croate.

Enfin, la mécanique se huila, les automatismes se mirent en place, l'homme s'adapta à la machine comme le veut le modernisme, et je fus parfaitement ravi de ma nouvelle acquisition. Je me couchai assez tard ce soir-là, ayant bien des difficultés à me concentrer sur une nouvelle qui traînait depuis longtemps dans mes placards. Je devais l'envoyer à une revue de jardinage en échange d'un chèque qui en couvrirait pratiquement l'acquisition.

J'éteignis soigneusement ma belle machine, la flattai d'une petite tape sur la croupe, puis… dodo !

C'est donc très étonné que le lendemain je retrouvai ma machine allumée !

Tiens… j'avais dû me tromper. Le problème fut que le cas se reproduisit plusieurs fois. Invariablement, le soir, je coupais l'alimentation de la machine et si je ne débranchais pas le cordon, au matin je la retrouvais sous tension, souvent un ou plusieurs caractères tapés sur la feuille oubliée sur le rouleau. Lassé, je finis par rapporter la machine chez le vendeur.

Evidemment… à l'évocation du style de la panne : une machine à écrire qui s'allume et même tape toute seule, je vis l'œil du commerçant s'arrondir, puis un petit sourire poindre à l'évocation de mon activité d'écrivain.

Ayant pitié de moi, il consentit à garder quelques jours à son magasin l'objet au fonctionnement un tantinet anarchique.

Objet, qui, bien entendu, eut le comportement le plus conventionnel qui soit sous sa surveillance. Les enfants ne font jamais de bêtises quand on les regarde ! Trois jours après, je récupérai ma "farceuse" en balbutiant des excuses et des remerciements, puis quittai le commerce sous les regards goguenards de cet imbécile et de sa dinde cuissue de vendeuse en minijupe, qui ferait mieux de soigner son acné. Elle crut bon d'ajouter :

- Il y a peut-être des fantômes chez vous !

Une semaine plus tard, la définition d'une grille de mots croisés attira mon attention : Ville de Krösavie : Bozt.

Bozt, ville de Krösavie… Voilà le genre de définition qui a d'habitude le don de m'agacer, mais là…

Pourquoi donc ai-je tortillé ce mot dans ma tête ?

Bozt… Bozt… Bozt…

J'ai mis plusieurs jours avant de trouver.

Il m'a fallu farfouiller dans ma corbeille à papier et défroisser tous ces papiers chiffonnés.

B… O… Z… T… C'était bien la liste des lettres que ma machine folle m'écrivait lors de son activité nocturne.

La coïncidence était troublante.

Mon atlas ne m'apprit pas grand chose et le commentaire du dictionnaire était des plus succincts. La Krösavie était un infinitésimal pays de montagne habitué à la tyrannie de différents et successifs despotes quand il n'était pas saigné à blanc par un ogre voisin. Microscopique nation où les révolutions alternaient avec les contre-révolutions. En somme, un petit paradis du terrorisme. Bah ! De toute façon, indéniablement, tout ceci ne devait être que le fruit de mon imagination. Ma machine, sans doute de qualité douteuse, devait avoir une soudure mal étamée ou un composant électronique défectueux et de temps en temps… elle déconnait ! De là à lui faire écrire volontairement quelque chose, il y avait une marge. Mais les gens comme moi ont le cerveau un peu bizarrement fait, et c'est armé d'une solide réserve de cigarettes, bières et gâteaux que je m'installai le plus confortablement possible en face de ma machine à écrire pour une nuit en tête à tête.

Heureusement que personne n'était là pour me poser la question :

- Que fais-tu ?

J'aurais dû répondre :

- Hé bien je m'installe en attendant que ma machine veuille bien m'écrire une petite bavette, et de qualité… si possible !

J'ai dû décrocher vers une heure du matin, les tempes douloureuses à force de fixer la feuille désespérément blanche glissée derrière la marguerite.

Mon sommeil fut vaguement dérangé par un léger crépitement dans la nuit.

C'est à sept heures du matin que je me suis réveillé, la nuque sciée par le dossier de mon fauteuil.

Je me suis précipité vers la machine…

Sur la page, un seul mot : Secrouvitch…

Ha çà ! C'était nouveau…

Ma visite à la bibliothèque municipale confirma ce que je savais et supposais. A savoir que Bozt était une petite ville de Krösavie, écrasée par un tyran qui se faisait discret.

Pas de ressources naturelles, pas de pétrole, ni de mines de quoi que ce soit, une pliure de la carte, micro-fief oublié lors du partage du gâteau mondial.

A part cela, le mot Secrouvitch n'évoquait rien. Le plus curieux était que plus je cherchais, m'agitais, tentais de comprendre, moins ma machine se manifestait, comme si d'avoir accouché de ce… Secrouvitch l'avait épuisée.

Je profitai d'un voyage dans la capitale pour aller fouiner chez les bouquinistes des quais et interroger tout le monde sur la Krösavie et un certain Secrouvitch. Après quelques heures de recherches infructueuses, je renonçai. De toute façon, tous m'envoyaient balader avec mes questions auxquelles ils ne pouvaient répondre, et c'était bientôt l'heure de mon train…

Un homme caché dans un lourd manteau me bouscula…

Un chapeau sale masquait le haut de son visage, il marmonna avec un épouvantable accent quelque chose où je compris vaguement le mot Krösavie.

- Oui oui ! Je cherche des renseignements sur la Krösa…

Le manteau me donna une telle bourrade dans les côtes pour me faire taire que j'en eus le souffle coupé.

- Ce soir… Dix heures… rocailla-t-il…

- Oui, c'est entendu… dix heures… ce soir… Mais où ? Monsieur… Où est-ce… Monsieur…

La forme sombre s'était laissée avaler par la foule.

Haaa… Enfin j'allais savoir ce qui… Mon train ! J'allais rater mon train ! Tant pis… je rentrerai demain.

Onze heures du soir !

Cela fait une heure que mon estomac de provincial tortille en vain ce hamburger américano-parisien.

J'ai cru voir mon conspirateur à plusieurs reprises mais à chaque fois, il a filé comme une anguille.

Une heure du matin !

J'en ai marre ! J'ai froid, mal aux pieds, le nez qui goutte… Mon estomac a eu raison du mastic qui l'encombrait mais… je déclare forfait.

Le pire est que je sens l'homme me tournicoter autour, mais il refuse obstinément le contact.

Allez…il suffit !

Je hèle un taxi qui a la grâce de s'arrêter à mon premier geste.

Le chauffeur immobilise son véhicule à ma hauteur et entrebâille sa portière arrière. Au moment de monter dans la voiture, je m'empêtre les pieds dans quelque chose de mou et m'étale sur le trottoir, ma tête ne manquant pas de heurter violemment la portière ouverte du taxi.

Prévenant, le chauffeur est venu ramasser mes miettes :

- Tout va bien Monsieur ? C'est votre sac… là ! Vous vous êtes pris les pieds dedans.

- Heu… mon sac… Quel sac ? Je n'avais pas de sac… Mon sac… Ha oui… !

- Tenez… le voilà. Où allons-nous ?

- Gare de l'Est. Il y aura bien des hôtels encore ouverts malgré l'heure n'est-ce pas ?

- Certainement Monsieur.

Je revins doucement à la réalité, sortant lentement de mon presque évanouissement, je me calai dans le taxi et eus le temps d'apercevoir derrière une voiture la forme sombre de l'homme…

Haaa… L'animal… Il savait bien se cacher…

Il sortit la main de sa poche et me fit un petit geste étrange à hauteur de sa hanche ! Je farfouillai dans le grand sac en plastique noir. Mais qu'était-ce donc que tout ce fatras ?

Des revues jaunies, des prospectus mal imprimés, de vieux livres.

Dans le sombre habitacle du taxi, je pouvais à peine lire les textes, mais je vis bien qu'ils étaient écrits en une langue étrangère.

Une sorte de livre épais aux pages cornées pesait lourd dans ma main, je n'arrivais pas à déchiffrer l'intitulé de la couverture crasseuse.

Je bouillais d'impatience en débarquant à l'hôtel. Je m'enfermai dans une chambre en commandant du café.

Je feuilletai le gros livre.

Un dictionnaire… C'était un dictionnaire !

A force de gratter la couverture, je parvins à en éclaircir le titre :

- KRÖSAVE-FRANÇAIS

Génial !

Je souris en pensant que l'éditeur de ce dictionnaire n'avait pas dû faire fortune grâce à la diffusion de cet ouvrage.

Je tournai les pages une à une, lisant les mots en Krösave sagement alignés ainsi que leur équivalent en Français.

Rapidement, ma lecture me fit tiquer… Quelque chose n'allait pas…

Les mots français comportaient des fautes d'orthographe… La marge ondulait… Les mots s'alignaient en un ordre alphabétique parfois… désordonné !

Hum ! Pas très sérieux pour un dictionnaire…

C'est alors que je fis une effarante constatation :

Ce dictionnaire était écrit à la main !

Quel travail de bénédictin !

Boulot de fourmi laborieuse, des centaines de pages d'une petite écriture serrée.

Quelle aveugle confiance dans la nation française devait avoir celui qui s'était engagé à réaliser ce travail de titan.

J'eus un vertige en pensant à l'homme qui m'avait confié un tel trésor. Il était impossible de décevoir sa confiance.

Mais qu'attendait-il de moi ?

Toute la nuit, je me familiarisai péniblement avec cette langue, traduisant confusément les prospectus.

Par des incitations à la révolte, au soulèvement, une espèce de brochure propagandiste racontait la Krösavie.

Industrie tristounette, un peu de bétail… et pas du gras… un soupçon de métallurgie et beaucoup de misère, de tristesse et d'exploitation de l'homme.

Juste un petit moment de plaisir lorsque je lus la description du salut pratiqué couramment en Krösavie : un petit geste des doigts en mettant la main à hauteur de la hanche. Celui que j'avais vu l'homme faire à mon adresse alors que je m'éloignais dans le taxi.

Ma studieuse nuit blanche à l'hôtel m'avait abruti. Un peu plus et je ratais le train du matin, le nez encore plongé dans les documents précieux.

Je n'eus que le temps de grimper dans le wagon, la portière claqua sur mes talons. Je promenai un regard embrumé sur le quai qui défilait de plus en plus vite devant moi.

J'écarquillai les yeux de surprise !

L'homme en sombre était là… au bout du quai… la main à hauteur de la hanche ! La durée du voyage me permit d'approfondir mes connaissances sur la Krösavie. Quelle honte ! Quelle désertion des grands, des nantis, des puissants ! La France n'étant pas la dernière dans la course à la lâcheté, s'élevant devant l'injustice puis retombant mollement sur elle-même, tel un fruit pourri. Le courage des krösaves me bouleversa.

Dans la liasse de papier se trouvaient quelques journaux datant d'une année environ. Des lieux et dates de fêtes étaient mêlés aux louanges du parti.

Il me fallut quelque temps pour discerner les journaux de l'opposition de ceux de l'Etat. Un détail m'aida dans la différenciation : la qualité du papier plus mauvaise pour ceux de la subversion, bien entendu.

Je découvris aussi un long texte manuscrit, corrigé et recorrigé, soigneusement annoté. L'écriture était ronde, propre, ordonnée… et hélas… krösave ! Je traduisais très méthodiquement, cherchant chaque mot dans le fameux dictionnaire manuscrit, laissant des blancs pour ceux introuvés que je supposais être des verbes conjugués, je les cherchais sous des formes avoisinantes dans le dictionnaire. Ce travail se poursuivit jusqu'à la maison.

J'avais remarqué, dans les journaux officiels, de la publicité pour de la vodka. Cette fois, je suivis le conseil et dégottai une bouteille entamée dans le fond du placard de la cuisine. A force de patience, les blancs dans le texte disparurent de plus en plus et même si la syntaxe aurait fait frémir un professeur de français, les lignes devinrent lisibles… lisibles et compréhensibles… et même très compréhensibles. Le poignant du choix des mots, des adjectifs, l'émotion dans l'utilisation des verbes, même la ponctuation étaient soignés. Tout ceci rendait la lecture éprouvante tant je me sentais ému, enthousiasmé et transporté. Des larmes de colère, d'indignation et d'impuissance mouillèrent ma lecture. Les phrases volaient, agressives, telles des armes de jet lancées sur l'oppresseur. De la feuille silencieuse hurlait la détresse de tout un peuple. Puis le néant… le vide… le noir ! Fin du texte ! C'était effrayant… Le sublime du texte fauché en plein élan. Il manquait la conclusion… l'exhortation au combat… le cri de guerre qui allait déclencher la curée. Non, il n'y avait plus rien… J'étais épuisé.

Mon travail de traduction était certainement responsable de ma fatigue sans doute amplifiée par la bouteille de vodka que je consumais à petit feu.

A la dernière page de cette diatribe, un nom, une signature : Secrouvitch.

Nom de nom ! C'était le nom qu'avait tapé ma machine !

Et ce Secrouvitch était l'auteur de ces pages… Comment ma machine à écrire avait-elle un lien avec cet auteur ? Comment avait-elle pu écrire spontanément son nom ? Je nageais en plein délire !

Une idée me vint. Je cherchai dans les journaux le nom de la ville de Bozt.

Effectivement, plusieurs fois, le nom de la ville apparut. Il était fait mention de kermesse ou de distribution de denrées alimentaires… Rien de bien intéressant… Puis, sur le dernier journal… évidemment… je trouvai à la rubrique de Bozt, au milieu d'une phrase, le nom de Secrouvitch !

J'avais trouvé ! Eurêka ! Restait à traduire…

J'étais tellement excité que je n'y parvenais plus, cherchant les mots dans le désordre, me trompant, recommençant, puis… progressivement… la lumière se fit. Voici la traduction de l'article du journal krösave, du moins ce que j'avais compris malgré l'absence de beaucoup de mots :

- Dans les… Golog… Le… Secrouvitch… mourir.

Mon sang se glaça !

Diablerie de dictionnaire incomplet, surtout que je ne sais pratiquement pas l'utiliser. Mais je comprenais le sens de l'article : Le dissident Secrouvitch, après avoir tenter d'échapper à la police, s'était donné la mort.

De quelle façon ? Mystère ! Pourtant cela devait avoir une importance primordiale. Je le sentais… Folost Golog…

C'était les bureaux Golog… Les magasins Golog… La maison Golog… Ou… Je ne savais pas… Rien dans le dictionnaire à Folost… Mais que voulait donc dire ce mot…

C'est alors que ma machine s'alluma toute seule ! Comme ça ! Devant moi ! Elle tapa :

- VA

Va en krösave veut dire : oui.

Elle insista :

- VA VA VA VA…

C'est à dire : Oui oui oui oui…

Je me pris la tête dans les mains :

- J'ai compris… Oui oui oui oui… et alors… Que veux-tu me dire ?

- VA VA VA VA…

- Arrête !

J'éteignis la machine et me morfondais longtemps en la contemplant.

Elle se remit en route !

Elle imprima simplement :

- AV

- Ah ! C'est nouveau ! Pourquoi écrire av pour va de toute évidence… Pourquoi à l'envers ? A l'envers… Pourquoi… A l'envers…

Pris d'une inspiration subite, je retournai ma pauvre machine à écrire qui n'eut pas le temps de se plaindre, pour découvrir rapidement en-dessous une petite plaque métallique sur laquelle était gravé : Tolost Golog.

Tolost au lieu de folost !

Un T en lieu et place du F.

Une erreur d'impression… Une faute de frappe… Une coquille…

Je ramais dans ma traduction et le dictionnaire depuis des heures à cause de la maladresse d'un typiste qui avait dû mal composer le texte à imprimer dans le journal ! Fébrile, je cherchai dans le dictionnaire Tolost… et… Je trouvai ! Tolost : Fonderie. Tolost Golog, c'était les fonderies Golog.

Grâce à cette découverte, tout s'enchaîna dramatiquement :

La traduction devint plus aisée… Je comprenais… Secrouvitch, opposant redouté et recherché est découvert par la police, il s'enfuit… dans les fonderies Golog et il… je continuais à traduire… et il est mort en tombant… Non… en se jetant volontairement pour échapper à ses poursuivants dans une… dans une poche… Une poche ? Une poche de quoi ? Une poche de… Seigneur ! Une poche de fonte en fusion ! Un épouvantable frisson me parcourut le dos. Je reconstituai la scène : L'homme aux abois, pourchassé, fuit dans la fonderie Golog, acculé, effrayé devant la perspective de la captivité, la torture sans doute, n'a de solution que dans le suicide, et se jette délibérément dans le cubilot de métal fondu ! Je m'installai au clavier de la machine en monologuant :

- Et ton esprit est passé dans cette masse de métal qui a servi à fabriquer cette machine à écrire. Ton âme est partie de ton corps et a fini, fantôme, dans cet objet.

La machine crépita :

- Va.

- D'accord ! On va y aller… Mais tu vas devoir m'aider. Nous allons finir ton texte… En avant ! Je me range aux côtés des insurgés !

Etaient-ce les effets conjugués de l'alcool et de la fatigue ou la collusion de nos deux âmes de révoltés, mais l'inspiration me vint comme elle ne m'était jamais venue et sans doute comme elle ne me reviendrait plus de sitôt.

Je tapai beaucoup, longtemps et surtout… fort !

Les arguments s'enchaînaient à merveille, les mots s'alignaient tels des soldats, les touches de la machine crépitaient tel des coups de feu.

Les feuilles s'accumulaient noircies de textes incendiaires.

Ma machine était devenue une arme, un bazooka, un bombardier.

J'étais douloureux, tel un soldat agonisant sur le champ de bataille quand je mis le point final de ma dernière phrase.

Je sombrai dans un lourd sommeil peuplé de cauchemars guerriers.

Le lendemain, je repris le train de Paris, mon sac en plastique noir soigneusement serré entre mes jambes et une précieuse chemise blanche cartonnée renfermant le manuscrit de Secrouvitch que j'avais enfin terminé.

Arrivé sur les quais de la Seine, je ne mis pas cinq minutes pour repérer la forme noire qui semblait m'attendre.

Sans un mot, je lui rendis le sac et lui tendis le manuscrit qu'il lut avec une extrême lenteur. Lorsqu'il eut fini sa laborieuse lecture, je ne vis toujours pas son visage, mais il me sembla que l'homme avait grandi, qu'il s'était redressé, que sa stature s'était anoblie. Je devais partir. Mon rôle était terminé, je tournai les talons. Il me retint par l'épaule et glissa quelque chose dans la poche de mon blouson. Ce n'est qu'après le voyage de retour effectué, une fois à la maison et installé devant ma machine à écrire que je sortis son cadeau de ma poche : il s'agissait du dictionnaire manuscrit auquel il devait tant tenir. Je mesurai aisément la grandeur du cadeau.

Sur ma machine s'imprima :

- SPA3IBA

Son krösave remerciement accompli, je fixai avec une terrible angoisse la petite diode verte allumée de ma machine, sachant très bien ce qui allait arriver… Comme je m'y attendais, je ressentis un terrible déchirement lorsqu'elle s'éteignit pour ne plus jamais se rallumer… d'elle-même.

Adieu Secrouvitch, que ton âme repose en paix.

Plusieurs semaines passèrent.

Enfin, aux informations télévisées, je vis passer un fait divers auquel peu de Français s'intéressèrent.

Il y était raconté qu'un petit pays : La Posavie… Heu non… La Krösavie, le présentateur dut s'y reprendre à deux fois, s'était soulevé contre son dirigeant oppresseur à la suite du retour d'un Prince héritier en exil à Paris.

Retour triomphant effectué sous la bannière du manuscrit tonitruant d'un dissident martyr, un certain Pepovitch.

Manuscrit caché, interdit, égaré puis retrouvé par miracle qui avait enflammé toute la population et rendu la révolution et le putsch possibles.

Bouleversé, je fixais la silhouette caractéristique du Prince sur laquelle s'attardait la caméra.

Mû par un automatisme, je plaçai ma main à hauteur de la hanche pour le salut traditionnel krösave…

C'est la gorge serrée et les larmes aux yeux que je vis la main du prince s'élever aussitôt pour répondre à mon salut !

J'étais sûr que ce geste était à mon adresse, il ne pouvait en être autrement.

4 commentaires:

Anonyme a dit…

jicroapa !

Anonyme a dit…

6Céltop yapatof fo y croar !!!!!!

Tapalchwa

Anonyme a dit…

comment de simples mots peuvent ils dégager autant d'atmosphère étrange et fantastique ?? un mystère que je ne chercherai pas à élucider..mais enfin j'ai trouvé à quelles images cette atmosphère me renvoyait: le film de Soderbergh (1992) "Kafka"
..Bonjour chez vous..

Anonyme a dit…

sans chercher à trop rationnaliser ce qui ne doit pas forcément l'être, je dirai que fantastique et étrange résument bien le sentiment, et j'ajouterai magique dans tous les sens du terme. ces simples mots (simples) sont le reflet du ressenti. pour rester dans la ligné de Kafka, Hammet et Le Festin Nu, sinon en projection temporelle Allen dans sa totalité.