Homme sweet Homme...
Découvrez Poloroid!
Dans ma famille "misère & générosité - la face cachée de l'humanité", je voudrais la fille... bonne pioche !!
Eh oui, je persiste et signe avec mes histoires de générosité sélective et pas toujours bien placée...
il y a deux jours je croise une femme assise sur un rebord contre le mur de la passerelle du palais des expo (où les voitures, normalement interdites vu que c'est piéton, sont de plus en plus nombreuses), protégée de la pluie par son parapluie... je me dis "tiens, étrange d'attendre là, ainsi sous la pluie... mais bon..." je passe mon chemin...
Ce soir, je reprends ce passage que j'emprunte au moins deux fois par jour, lestée de deux fougasses arnaqueuses achetées un peu plus tôt dans l'aprem et j'aperçois un homme assis, au même endroit, dans la même posture d'hypothétique attente... je me dis "tiens, ils ont élu domicile ici pour faire leur pause? donner rdv? Pourtant on ne peut pas dire que la vue soit folichonne avec son plongé direct sur la voie rapide qui sort au niveau du Casino... hmmm..." Le type me fait signe... fech, obligée de guillotiner Poloroid et son So Damn Beautiful... qu'est-ce qu'il me veut lui?
- Bonjour maadeumôazeleuu, vous avez un uuuun por... portable?
(mince un beg...)
- Oui monsieur... (suis trop bête pourquoi je lui dis la vérité?)
- C'eeeest graaaatuuuiiiit
- (gni??) Quoi donc?
- appelez qui vous voulez, j'sais pas moi, les flics, les pompiers, ils feront c'qu'ils veulent...
- (hu?? qu'est-ce qu'y raconte lui?) Vous avez mal quelque part?
- j'me sens pas bien du tout...
Je le regarde un peu sous tous les angles, aussi discretos et rapidos que possible pendant que je tente d’entretenir un semblant de dialogue… il a pourtant bien l’air entier… pas de traces de blessures… pas de contractions de douleur sur le visage… ni transpiration ni grelotement… le teint normal… pas de dilatation des pupilles… je fais la check-list de mes connaissances en matière d’urgence mais tout semble « fonctionner » normalement…
- Mais vous avez mal quelque part?
- j'ai pas mangé depuis 8 jours, je tiens plus debout...
- vous voulez du pain ?
Joignant le geste à la parole je lui présente mon sac fermé où se camouflent patiemment les 2 fougasses. Il ne me répond pas... Devant mon air de mulot névrosé il ajoute...
- on est où là?
Comme souvent dans les situations qui me dépassent un chouia, je réagis très... stupidement... je regarde autour de moi, à gauche, à droite comme pour chercher un signe de l'endroit où nous sommes alors que je le sais très bien... et bien sur, comme rien de nouveau n'est apparu à l'horizon c'est d'un ton dépité que je lui réponds...
- au palais des expo...
Silence... lourd... très lourd... j'ai l'air con (si, si)... j'ai bien compris la situation, et je n'y peux strictement rien... alors j'attends patiemment... ma présence semble suffire à le rassurer, à combler un peu le vide sidéral de sa détresse...
- que faites-vous ici?
- j'ai pas mangé depuis 4 jours...
(tiens ça a diminué de moitié en quelques secondes...) Je réitère ma proposition.
- vous voulez du pain ?
Et à nouveau je lui tends le pseudo trophée... il doit croire que je cherche à m'en débarrasser... hmm...? Je sais bien qu'il n'en veut pas de mes fougasses, ni même du quart d'une seule...
- Si j'avais une cigarette ça irait mieux
bah voyons... là c'est plus fort que moi... faut que je fasse ma moralisatrice même si je sais que c'est carrément ni le lieu, ni l'endroit, ni la personne, ni... et ni... mais cette petite voix insidieuse au fin fond de moi hurle à la face de ma tolérance qu'il faut que je lui montre que je ne suis pas que débile non plus... Comme si c’était vital hein… eh ben voui , ça l’est !! Allez savoir pourquoi…
- Vous n’avez pas mangé depuis plusieurs jours !! Une cigarette, ça va vous assommer…
Il répond pas… purée mais qu’est-ce qui te prend de le faire fech Sijav ? Donne-lui sa clope et c’est tout !! Je lui file une clope… et bien sur, il ne tombe pas dans les pommes… Il babille avec moi en la grillant, comme si nous prenions un thé dopé aux multi antioxydants… Il est étrangement propre… je l’ai immédiatement remarqué… non pas que je sois une de ces fanatiques du lavage intempestif, mais la propreté chez un SDF c’est pas toujours gagné… ses fringues, ses mains, ses ongles même sont impeccables… ses cheveux rasés style Marines en permission… c’est plus fort que moi, je me pose la question… qu’est-ce qui a bien pu buggué dans le parcours de ce type ? Et comme il ne se décide pas à lâcher le morceau…
- Qu’est-ce qui vous est arrivé ?
- Je me suis perdu… J’avais rdv avec un type à Masséna… Pis y avait ce rhum… je bois jamais moi !!
Mouais, en effet tout s’explique… j’ai rien capté, mais bon pas grave…
- La place Masséna elle est derrière vous… (Ça c’est à noter dans les annales… MOI, capable de donner une direction sans me vautrer lamentablement, on entre dans une ère de supranormal, attention ça va chahuter !! Nan parce que d’habitude les gens qui me demandent leur chemin, au bout de 2 minutes c’est eux qui m’expliquent où je suis…)
- Je sais !!
Ah ? Bah alors qu’est-ce que tu fiches ici à bloquer sur le rebord de nulle part comme un paumé?
- Ah…
- Ma copine m’a fichu dehors…
Nous y voilà !! Hmm… depuis combien d’années lumière ? Sijav arrête de faire ta tête fouine purée c’est malsain !!
- Et vous n’avez pas les moyens de prendre une chambre d’hôtel…
Purée à quel moment me suis métamorphosée en desperate housewife moi ?
- Bah nan, pas avant le 6 !!
- Ah…
- Ben oui, le 6 je touche ma pension… c’est que je suis pensionné moi…
Ah… bah c’est déjà ça… je dois avoir l’air drôlement débile parce qu’il ne peut s’empêcher de me demander…
- Vous savez ce que c’est pensionné ?
Appelle moi con ça ira plus vite !!
- Oui…
- C’est que j’ai des tunes moi, je suis pas un Rmiste !!
…………………. (…)
Sourire rouillé du processeur qui surchauffe… c’est que là, mine de rien il vient gentiment de me faire bugger…
- Je suis pas chiant pourtant comme mec…
Il va quand même pas me faire l’article non plus, on est pas au MIN là oh !!
- J’en sais rien monsieur…
- Moi non plus j’en sais rien si t’es pas chiante…
Ah bah y sait parler aux femmes en tous cas, ça y a pas photo !! Sourire « tukomençàmegavésobrement »
- Nan ça se voit que t’es une fille sympa
Sijav c’est NOW que tu te casses !! Sourire « Lâchelafairyapamoyen »
- Je sais que ça ne se fait pas de dire ça à une maghrébine…
Et vas-y plouf… bon, je sais que ça craint sévère mais là faut que je taille la route…
- J’ai 51 ans…
- Ah…
- Même une moquette, un tapis, moi je m’en tape, tout c’que je veux c’est dormir pour me remettre un peu…
Bien sur !! Évidemment !! Bah pas chez moi…
Ouais, ouais, je sais, les lecteurs réguliers de ce blog doivent en perdre leur web là… elle nous gave avec ses histoires de générosité bla bla bla et là le type il lui demande carrément de l’aide et pof elle fait fomec ? C’est quoi le deal ?
C’est que ce petit dialogue avec le monsieur m’a permis de voir que sa situation n’est pas temporaire, pas d’aujourd’hui, qu’il est bien rodé dans son quotidien, qu’il a surement un endroit où se laver et se changer, peut-être même un toit qui sait, qu’il était surement tout simplement bourré et qu’il cherchait une compagnie pour tenir compagnie à sa cuite en attendant que les effets s’estompent un peu, et qui sait peut-être plus si affinités… Et que même s’il n’a pas de toit, ramener un type beurré chez moi pour qu’il se vautre sur mon canapé c’est pas l’idée que je me fais de la générosité ni de la solidarité…
Je me suis sentie très concernée par la condition de cet homme, et le temps que je lui ai accordé je ne l’ai pas calculé, pas donné en échange de quoi que ce soit, pas regretté…
- Bientôt le 6 !!
Ah oui, la pension…
- Et que ferez-vous de votre argent?
Je ne sais pas pourquoi j’ai pose cette question, car la réponse je la connais évidemment et en plus je m'en tamponne mais d'une force rarement atteinte au niveau du cortex...
- Bah je prendrai une chambre d'hôtel, je boirai un coup, je me prendrai une femme et je baiserai... bien sur ça ne durera pas longtemps...
je sourie au programme annoncé... il n'est pas totalement fichu !!
- Je vais devoir vos laisser… ça va mieux ?
- Non !!
Med…
- Ecoutez, je ne peux rien pour vous… au mieux je peux vous donner du pain et des clopes…
Avec empressement (avant qu’il refuse ?) je lui donne une fougasse avec un tyrannique sentiment de trahison, mais bon quand même j’ai gardé l’autre pour moi, je serai donc solidaire jusqu’au bout !! Et je me rachète hypocritement en lui offrant la moitié de mon paquet de clopes… Bizarrement il ne me remercie que pour les clopes… il a capté que les fougasses sont de mauvaise qualité ? Dieu se serait-il déguisé en SDF pour me tester ? hmm…
- Bon courage et bonne chance…
- Merci pour tout…
En parcourant le chemin qui me sépare de la passerelle à mon appartement je me demande pourquoi je n’ai pas culpabilisé… pourquoi la situation de ce type, qui est somme toute assez triste et devrait susciter ma solidarité la plus sincère, ne génère pas de culpabilité ? Eh bien, parce que mon nid douillet je considère ne pas à en avoir honte… Parce que je me suis battue pour le faire, que je me bats pour le garder et que la culpabilité c’est bien dans les grandes occasions quand y a vraiment rien d’autre pour combler le vide de notre impuissance… Dans le cas présent, je ne pense pas avoir été impuissante… Lui seul peut agir pour lui… moi pas… et s’il ne peut rien pour lui, je pense sincèrement que je peux encore moins…
2 commentaires:
Je t'ai trouvée plutôt patiente...
Eh ben, ça commence à venir. Allez encore un petit effort et tu comprendras avant même de croiser son chemin ou celui de son frère ce que tu comprends après ta patience ; ça s'appelle l'expérience ;-)
En plus ce qu'il y a de bien, c'est que tu finiras par avoir confiance dans ton intuition et que le jour où vraiment tu pourras quelque chose, tu sauras t'arrêter sans te poser de questions.
Trace et si tu dois donner, donne ce que tu veux pas ce que l'autre veut.
Fin de la leçon (ça, c'est pour me moquer de mon ton donneur de...)
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