samedi 6 mars 2010

Le roman d'Oggi

Comment synthétiser la profusion ? Comment faire le bilan du roman d’aujourd’hui (question savamment posé par la prof de littérature) sans tomber dans le piège bien trop tentant de la comparaison au classique ?

L’imagination est la faculté dominante de notre époque littéraire. Mais ce qui nous manque à nos auteurs surtout, a dit Alain Robbe-Grillet, c’est l’attention. Nous sommes irréfléchis et distraits; nous n’avons de la suite que par hasard, et même chez les intelligences qui passent pour les plus sérieuses de notre époque, on trouve, pour peu qu’on les scrute dans leurs replis sans se laisser prendre au dogmatisme de la parole, un fonds étrange de légèreté.

Les romanciers sont en ligne et à l’œuvre; ils enveloppent la France d’un vaste réseau de romans, et la foule crie bravo ! Chaque matin, plus de cent mille feuilles volantes répandent d’un bout à l’autre de la France des lambeaux de contes et de fictions, et il y a un nombre immense de gens qui attendent cela comme une manne ! C’est là une situation nouvelle et pleine de dangers. Trop de roman tue le roman !

Ainsi le roman est à la mode, et depuis qu’il a vendu sa liberté pour s’attacher à la glèbe, c’est-à-dire au journal quotidien, il a le haut du pavé. L’optimisme le plus exagéré serait contraint d’avouer que tout le monde y a perdu, en présence de cette menue monnaie qui circule sans effigie au bas des journaux, et surtout en présence de ces beaux chefs-d’œuvre qui ont tant soulevé la curiosité autour d’eux, et qu’une renommée aveugle et criarde a popularisés au loin.

Sans doute, le roman, comme la poésie, pouvait se renouveler et se rajeunir. Son originalité eût consisté à être passionné comme Saint-Preux, poétique comme René, vrai comme Manon, sans cesser d’être de son temps. Pendant un temps ils se sont répété eux-mêmes; maintenant, ils se copient les uns les autres.

Autre malheur le style a eu le sort de l’invention; il s’est fatigué, a perdu son éclat naturel, sa force primitive, et, pour dissimuler ses pertes, il s’est donné une sorte de fièvre continuelle et des mouvements convulsifs.

Que va-t-il donc arriver? À mesure que le goût des romans se propage à grand renfort de spécialistes de la rhétorique, ces génies la pluie et du beau temps littéraire, perdus qu’ils sont dans cet eternel printemps qu’ils ont instauré, le talent des romanciers, lui, baisse devant des consommateurs de plus en plus avides et insatiables, et avouons le, un peu perdus. Le nombre et l’appétit des consommateurs vont croissant pendant que la récolte, pour pléthorique qu’elle soit, diminue. Il n’y a pas très loin de là à une disette. Aurions-nous déjà eu nos sept années d’abondance ?

Il faudrait songer qu’un jour viendra, peut-être pas si éloigné, où ce même public en aura assez de ces interminables récits qui se ressemblent tous, au fond, d’une façon désespérante. La satiété lui donnera du goût, et il reviendra au simple et au naturel, entendons par là, une production pour la demande ET une pour la devancer. Car écrire un roman qui ne correspond à aucun critère du lecteur n’est pas forcément un roman inutile, loin s’en faut ! Encore faut-il ne pas tomber ni dans le narcissisme intellectuel, au risque de se voir délaissé par des interlocuteurs dépassés, ni dans une profusion trop envahissante et étouffante. Le but du roman n’est-il pas d’être lu, puis compris et assimilé ? Sans aller jusqu’à l’appréciation qui reste du domaine de l’intime et du personnel, le roman doit rester accessible, sinon à quoi bon ?


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