mardi 2 mars 2010

Pauvre Karski d'Haenel



Dès les premières pages Haenel tente de donner un ton alors tâchons d’être à la hauteur de ses prétentions. Un exercice de style en trois parties plus ou moins subjectives, deux reprises pour les cent premières pages environ et l’imagination de l’auteur durant la troisième. Une sorte de guerre pour la garde de « bébé », pour arriver à une fin qui rejoint le début… La boucle est bouclée… Beaucoup De Bruit Pour Rien…

Dans une première partie qui se veut une critique du film Shoah de Claude Lanzmann, il reprend le malaise de Karski pour le faire vivre au lecteur. Sa tentative reste vaine, pire, elle rend la lecture laborieuse, voire soporifique, ce qui n’est pas du meilleur effet lorsque l’on traite d’un sujet si difficile à aborder… Haenel se hasarde à analyser le besoin de silence qu’éprouve Karski face à son vécu, et nous livre cette pseudo interprétation si insuffisante et inefficace. Le fait est que les résistants qui ont survécu sont des résilients en puissance et raconter son histoire fait partie (selon la théorie de Boris Cyrulnik) du processus. Ainsi Haenel donne l’impression de vouloir endosser la soutane du mentor catalyseur de Cyrulnik… Mais paradoxalement, le silence d’or n’a jamais pris autant de signification que durant une guerre où se taire c’est vivre, où parler c’est mourir et mettre en danger son entourage…

Haenel parle d’émotion mais n’en fait ressortir aucune, même quand il reprend des phrases cruellement lourdes de douleur… Il dénonce par la voix de Karski les décisions et tactiques militaires ou politiques qui ont été prises durant cette période comme dérisoires, mal appropriées, voire mauvaises… comme si les choses étaient si simples…

J’ai eu beau chercher un sens caché dans ce livre, dans cette rédaction particulièrement structurée, dans ces phrases et ces morceaux choisis, mais rien n’y fait, je n’ai rien trouvé…

Peut-être n’ai-je pas été capable de comprendre, me dirons certains… Qu’à cela ne tienne, expliquez-moi, je suis preneuse !! Je me suis demandée quel est le véritable message d’Haenel ? Il y aurait-il un rapport avec la politique actuelle ? Ou de façon plus répugnante, n'y aurait-il qu'un seul et unique rapport avec les sorties cinéma prévues cette année, à commencer par le très médiatisé "Rafle" prévu pour fin Mars 2010 ? En attendant je n’ai trouvé qu’une minable tentative d’analyse comportementale ET cinématographique du Shoah Lanzmann.

Ensuite, une deuxième partie beaucoup plus « facile » à lire malgré le récit relaté, surement du fait qu’Haenel n’intervient plus directement puisqu’il reprend un récit qu’il raconte sans interprétation… Il se répète beaucoup, des passages entiers sont repris dans les trois parties, comme s’il ne souvenait pas de l’avoir déjà dit. Certes, la répétition est une figure de style, encore faut-il savoir l’utiliser et au bon moment, à bon escient… On apprend, tout du moins subodore fortement, la signification des images de Lanzmann que Haenel critique dans sa première partie (statue de la liberté = arrivée de Karski aux USA en 1943). Il est affreux de constater, que c’est le passage dont il y a le moins à dire, alors que c’est un de ceux qui a le plus d’intérêt…

La troisième partie quand à elle est une fiction pure et très tendancieuse, car il n’est spécifié à aucun moment qu’Haenel prend la parole. Nous sommes dans un mode de récit d’après les souvenirs de Karski et on enchaine avec le point de vue d’Haenel sans savoir que l’auteur des mots n’est plus le même… Ainsi, Haenel fait parler un mort, lui invente de nouvelles pensées, de nouvelles directions… Mais là où le bât blesse, c’est qu’il lui fait dire des aberrations. On trouve alors d’étranges comparaisons telle que Roosevelt et les alliés qui n’ont pas voulu entendre, « comme s’ils avaient de la cire dans les oreilles, comme les compagnons d’Ulysse pour ne pas entendre le chant des sirènes… ». Le message si cher à Karski devient donc un chant de sirènes sans même s’en rendre compte… sic !! Le début des incessantes nuits blanches de Karski se retrouve dans une métaphore à l’araignée qui monte au plafond par le biais de la lézarde dans le mur… re sic !!Jan Karski (si c’est bien lui) dit que ce sont essentiellement des femmes qui viennent l’écouter quand il fait ses conférences et débats. Qu’il sent chez elle le désire de le sauver lui, de le consoler, de soigner sa douleur… Mais que fait ce nouveau livre de Yannick Haenel si ce n’est la même chose ? Après avoir critiqué l’œuvre de Lanzmann qu’il considère trop censurée, Haenel fait ce qu’il condamne, pire, il dénature les propos d’une personne qui n’est même plus en mesure d’y réagir…

Il faut comparer ce qui est comparable ! Ainsi, ce livre aurait pu mériter son prix, s’il avait su respecter certaines valeurs qui me paraissent fondamentales. Tout d’abord, ne pas chercher à critiquer Lanzmann, car si les deux hommes traitent d’un même sujet, l’angle par lequel ils l’abordent n’est absolument pas le même… Ensuite, ne pas usurper l’identité de son personnage, du moins pas de cette façon. Enfin, le but d’Haenel semble être un éloge à Karski, alors, peut-être aurait-il pu mettre un peu plus de courage dans l’encre de cet écrit et parler plus de son sentiment vis-à-vis d’une personne qu’il reconnait comme le héros qu’il est… Si Lanzmann a voulu montrer en 1985 les horreur de la guerre, Karski lui voulait en 1944, hurler le sort des polonais à la face du monde… Haenel, en 2009, fait Beaucoup De Bruit Pour Rien…



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